Legal insight

P.J. AERTS, "Protection de la réputation des exploitants d'hôtels contre les évaluations illicites en ligne", ODC Hospitality Law Newsletter, February 2016 (French version)

Trivago, Booking.com et Tripadvisor sont seulement quelques exemples de sites internet sur lesquels les consommateurs peuvent laisser des évaluations ou appréciations sur les hôtels, la qualité des prestations de service, le prix, l’hygiène, s’ils conviennent aux familles, etc. Etant donné que les réservations en ligne d’hôtels n’arrêtent pas d’augmenter, les évaluations en ligne, généralement disponibles sur les mêmes sites internet, gagnent inévitablement de l’intérêt par la même occasion.

Positionnement du problème

 

Derrière l’influence croissante des réservations en ligne et des évaluations qui les accompagnent, se cache un grand risque pour les hôtels. Les évaluations sur ces sites sont en effet souvent communiquées anonymement et ne sont pas toujours fiables. Il n’est donc pas inconcevable que les évaluations ne proviennent pas du voyageur lui même mais de collaborateurs de certaines chaines d’hôtels qui ont été incités à poster des réactions positives. De la même manière, les concurrents sont également actifs sur internet et dans certains cas, ces derniers ne se privent pas de laisser des commentaires négatifs afin de jeter un discrédit sur un concurrent se rendant de cette manière coupable de dénigrement. Finalement les consommateurs peuvent également partager des expériences qui ne collent simplement pas à la réalité. De ces différentes manières, la position d’un exploitant d’hôtel est influencée par rapport à la concurrence parfois de manière positive, mais souvent aussi de manière négative. Cette influence négative peut suivant les circonstances être illicite.

 

Quelles actions concrètes peuvent être actuellement entreprises à l’encontre de telles évaluations illicites ?

 

Si l’auteur (non-concurrent) de l’évaluation illicite est connu, une demande en justice sur base de l’acte illicite commis peut donner lieu à des dommages et intérêts (sur base de l’art. 1382 du Code civil). Une évaluation illicite se situe en effet toujours dans la sphère de la calomnie et de la diffamation. Il est question de calomnie lorsque l’information rendue publique peut porter atteinte au nom et à l’honneur ou lorsque les affirmations publiques calomnieuses n’avancent aucune preuve légale. Une inculpation pénale à l’encontre d’une telle personne ou entreprise pour calomnie et diffamation dans des écrits publics ne va cependant pas de soi. En effet, lorsque des accusations calomnieuses apparaissent dans des écrits publics – la diffusion digitale doit également être considérée comme écrit public – il est question d’un délit de presse écrite.  Etant donné le lien étroit avec la liberté d’expression, un tel délit de presse écrite doit être soumis à la Cour d’assise, ce qui a de facto pour conséquence que ce genre de délit est très rarement poursuivi.  La voie de la procédure pénale n’offre par conséquent aucune solution. Ceci n’empêche pas que, mis à part les éventuelles poursuites pénales ou non de la calomnie et de la diffamation, ces accusations et faits illicites peuvent causer un dommage à l’exploitant de l’hôtel. Une demande en réparation d’un dommage devant un juge civil est donc toujours possible contre un auteur connu.

 

Si l’auteur est un concurrent-commerçant, en plus de ce qui précède une demande en cessation peut être introduite sur base de pratiques de commerciales déloyales (comme par exemple en raison d’une dénigrement) tel que prescrit dans le Code de droit économique.

 

Souvent il n’est pas opportun ou pas pratique pour l’exploitant de l’hôtel de s’adresser à l’auteur d’une évaluation. D’autant plus que, le plus souvent, l’auteur est inconnu ou anonyme. Dans ce cas se pose la question de savoir si la responsabilité du site internet de réservation (reprenant des évaluation client) peut être engagée. Cette piste n’est pas évidente parce que la directive sur le commerce électronique (2000/31/EG) a mis en place une exonération de responsabilité pour les « hostingproviders » sous certaines conditions. Même si la qualification de hostingprovider fait encore l’objet de discussions élargies dans divers pays européens, notre Cour de cassation a tranché en 2004 que les sites internet de réservation (reprenant des évaluations client) doivent en effet être considérés comme hostingprovider dans la mesure où ils jouent seulement un rôle passif et n’exercent aucun contrôle sur le contenu des évaluations. Ceci a pour conséquence que les sites internet de réservation (reprenant des évaluations client) ne sont pas encouragés à exercer un contrôle sur les évaluations postées et ce afin de rester dans le régime d’exonération de la Directive en tant que hostingprovider. Afin de pouvoir invoquer cette exonération, l’hostingprovider doit quand même satisfaire à un ensemble de conditions.  Une de ces conditions est que l’hostingprovider ne peut pas être au courant de l’ évaluation illicite. Si par contre tel est le cas, l’hostingprovider/le site de réservation (reprenant des évaluation client) ne pourra échapper à sa responsabilité qu’en bloquant l’évaluation illicite ou en supprimant celle-ci. En tant que préjudicié, il est donc utile d’informer concrètement et précisément le site de réservation (reprenant des évaluation client) de l’existence de l’évaluation illicite, avec, de préférence, précision de l’endroit exact de l’évaluation en question, la(es) raison(s) de son caractère illicite et la demande de blocage ou de suppression de l’évaluation illicite. Cependant, la difficulté se situe au niveau de la nature de l’abus en lui-même : lorsque l’on compare la vision Belge, Française, Hollandaise et Allemande, nous arrivons à la conclusion que l’illicéité doit être claire, indéniable et manifeste  afin d’être considérée comme « illicite »  C’est la raison pour laquelle un jugement de valeur négatif n’est, par exemple, pas pour autant « illicite ». Si aucune décision judiciaire ne tranche ce point, c’est l’hostingprovider lui-même qui devra le décider de retirer ou bloquer l’évaluation litigieuse ou non lui-même. A cette occasion, il devra faire la balance entre l’intérêt de l’exploitant de l’hôtel et le droit à la liberté d’expression, une mission difficile.

 

Si le site internet de réservation (reprenant des évaluation client), après avoir été informé de l’existence de l’évaluation illicite et après qu’il lui ait été expressément demandé de supprimer l’évaluation litigieuse, refuse de s’exécuter, dans ce cas une demande en référé peut également être envisagée - et ce indépendamment de l’éventuelle responsabilité civile de l’hostingprovider - par laquelle le juge en référé, en attendant le jugement sur le fond de l’affaire, pourra décider de supprimer ou de bloquer temporairement l‘évaluation afin d’éviter des dommages commerciaux irréparables à l’exploitant de l’hôtel.  Comme alternative, une action en cessation pour pratique de commerce déloyale peut également être envisagée.

 

Agir contre des violations futures n’est cependant pas possible. Une telle interdiction reviendrait à une censure préventive ce qui serait contraire au prescrit de l’article 25 de la constitution.